Le
Logotron
C'est
un programme, très simple (dont on trouvera le détail
dans "Achille Moneyback découvre l'informatique") qui engendre
automatiquement des néologismes. Né lors d'un dimanche
pluvieux, à la fin des années soixante-dix, quand
apparurent en France les premiers Apple II, il permet d'engendrer
90.000 néologismes dont une faible partie appartient réellement
à la langue française ( comme "télé-phone"
ou "schizo-phrène").
Le
Logotron a une histoire. A cette époque les frères
Bogdanoff, les terribles jumeaux, produisaient sur tf1 leur émission
"Temps X". Liés d'amitié avec Petit (qui avait d'ailleurs
participé à la première émission de
la série) tous trois eurent l'idée d'un canular. Pour
la circonstance, Petit fut présenté en tant que "directeur
de l'Institut de Logotronique, de la faculté des lettres
d'Aix-en-Provence" (où il enseignait alors, au département
de philosophie). Le "Logotron" était en fait un simple Apple
II mais, à l'époque, rares étaient les gens
qui avaient vu ce genre de machine. Cela donna le dialogue suivant
:
Igor
Bogdanoff :
- Alors, professeur,
voici cette machine, le Logotron, que vous avez créée.
- C'est un appareil
qui permet de créer des mots. Or, de nos jours, nous avons
besoin de mots nouveaux, dans toutes les disciplines, dans tous
les secteurs de l'activité humaine.
Entre
temps, un étudiant de Petit, rebaptisé "technicien
en logotronique", avait mis en marche la machine, c'est à
dire allumé l'Apple et lancé le programme. Avec une
sonorisation comparable à celle d'une machine à écrire,
l'appareil alignait des mots :
ZOODYNE
PSEUDOCRATE
SEXON
CHRONOTHERAPEUTE
STATODYNAMIQUE
Soudain,
le défilement s'interrompait et un mot se mettait à
clignoter.
- Ah, professeur,
il semble se passer quelque chose. Voyez l'écran. Qu'est-ce
que cela signifie ?
- Ce mot a pour ainsi
dire été "capturé" par l'interpréteur
sémantique de la machine.
- Ah bon, et que fait-on dans ces
cas-là ?
Se
tournant vers son "technicien" :
- Veuillez activer
le module sémantique, je vous prie.
Notre
"technicien" frappait sur quelques touches. La machine semblait
alors se livrer à des analyses compliquées, affichait
des tas de messages, des graphiques. Finalement, le "sens" du mot
était affiché, toujours avec ce bruit de machine à
écrire :
Statodynamique
: étude de l'évolution des états stationnaires
- Fascinant, professeur.
Je suppose que cet interpréteur sémantique nous
place en pointe au niveau international.
- Tout à fait. C'est le fruit
de longues recherches. La Faculté des Lettres d'Aix peut
s'enorgueillir de posséder une machine révolutionnaire,
que déjà l'étranger nous envie.
- Quelles sont les applications ?
- L'Institut crée
des mots nouveaux et les met à disposition, avec leur sens,
fourni par notre interpréteur sémantique. Bien sûr,
nous les brevetons.
- Comme en biotechnologie
?
- C'est comparable.
Il s'agit de ce qu'on pourrait appeler des manipulations linguistiques.
- C'est moins dangereux
que les manipulations biologiques.
- Certes. Nous fournissons
donc des mots prêts à l'emploi. Les médecins,
les industriels, se comptent parmi nos clients. Les hommes politiques
aussi, bien sûr. Nous avons d'ailleurs des Logotron fonctionnant
en plusieurs langues.
- Vous voulez dire…
que vous exportez des mots ?
- Bien sûr.
La France est devenue le premier producteur de mots et l'exportateur
le plus actif. A l'heure où la balance des paiements française
pose problème, ceci n'est pas négligeable.
Pendant
la discussion, le téléspectateur avait vu voir apparaître
de nombreuses trouvailles issues du Logotron. Pour se convaincre
de l'efficacité du programme, simple comme bonjour, qui tient
en quatre lignes, le lecteur n'aura qu'à faire fonctionner
celui qui est fourni sur le "cd Lanturlu".
En
fin d'émission, Igor Bogdanoff :
- Et si certains
téléspectateurs sont intéressés, comment
peuvent-ils prendre contact ?
- Simple : ils écrivent
à l'Institut de logotronique, à la Faculté
des lettres d'Aix en Provence, avenue Robert Schuman.
Quelques
jours après, Petit était convoqué chez le président
de l'Université :
- Ecoute, Jean-Pierre,
arrête tes âneries. Regarde le sac de courrier que
nous avons reçu. Et tout est adressé à ce
soi-disant "Institut de logotronique".
Une
firme pharmaceutique, qui venait de créer un nouveau médicament,
demandait un devis pour création d'un nom, pour un nouveau
produit. Il y avait nombre d'invitation à des congrès
de linguistique, des demandes de séminaires émanant
d'universités. Petit du s'égosiller au téléphone
:
- Mais non, cher
collègue, il n'y a as de module sémantique. C'est
une blague. Nous avions mis ces sens des mots, que nous avions
imaginés, dans un fichier spécial. Tous les tant
de mots, engendrés aléatoirement, le programme appelait
automatiquement un de ces mots "muni d'un sens" (que nous avions
inventé de toute pièce et mis en mémoire)
et faisait clignoter l'affichage. En frappant un certain nombre
de touches, mon étudiant provoquait l'affichage "du sens
ainsi calculé". Mais il ne s'agissait que d'un canular,
rien de plus.
Il
fallut des semaines pour dissiper l'effet de ce canular, ce qui
dissuade Petit d'en faire d'autres, comme "L'extrapolateur historique"
( programme qui "calculait" les nouvelles du lendemain à
partir de celles des jours précédents) ou l'invention
révolutionnaire de l'INSTA ("Institut national des transports
avancés"), une machine révolutionnaire, variante de
"l'aspirisouffle" (voir la bande dessinée du même nom),
qui pouvait circuler à grande vitesse en cheminant collé
au plafond.
L'épopée
du Logotron avait montré que dans la mesure où quelque
chose était présenté sur un plateau de télévision,
on pouvait convaincre n'importe qui que cela existait vraiment.
Ceci
étant, si un étudiant, ou un bidouilleur un peu réveillé
voulait s'atteler au problème, il y aurait sûrement
moyen de créer une sorte "d'interpréteur sémantique",
syntaxiquement et grammaticalement correct, quelque chose qui, à
partir de
COSMO-TOPE
Sortirait une signification plus
élaborée que plus raffinée que :
LIEU-UNIVERS
Par exemple :
L'endroit où se trouve l'univers.
qui est en fait le sens exact.
Dans
"Achille Moneyback découvre l'informatique" (sur le "cd Lanturlu"
), le lecteur trouvera le programme de l'INSULTOTRON, un
générateur automatique d'insultes dignes du capitaine
Haddock :
INFLATOGASTRE
MICROCEPHALE
BRACHYCERQUE
PYROPHRENE
RHINOSEXUEL
PAPYRODIDACTE
On
a l'impression que personne ne programme plus, de nos jours. Pourtant,
quelle source inépuisable de divertissement. Qui se souvient
du programme ELIZA, qui simulait la "non-directivité", c'est-à-dire
les réponses d'un psychanalyste (il existait un autre programme
mimant le comportement d'un paranoïaque).
Je
me souviens d'une émission à la radio. Les auditeurs
posaient des questions et la machine leur répondait. L'un
d'eux ayant demandé à l'ordinateur :
Cette
machine infernale avait automatiquement répondu :
Il
est temps que nos grands consommateurs de logiciels réapprennent
qu'avec l'informatique on peut créer des choses succulentes,
à condition de l'employer comme un Meccano.
-Sommaire-
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